« LE REGROUPEMENT DE NOS TROIS EXPLOITATIONS NOUS A SAUVÉS »
JEAN-FRANÇOIS, ANDRÉ ET ÉRIC SE SONT ASSOCIÉS AVEC L'OBJECTIF ATTEINT DE PÉRENNISER LEURS STRUCTURES ET DE RÉVOLUTIONNER LEUR FAÇON DE TRAVAILLER.
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LES TROIS VOISINS SE SONT ASSOCIÉS EN GAEC EN 2006 en regroupant leurs trois exploitations respectives. « Nous exercions auparavant individuellement sur des structures limitées tant au niveau des surfaces que des quotas et des possibilités de réactivité, expliquent Jean-François Falcon, André Delrieu et Éric Rispal. Nous sommes aujourd'hui à la tête de 187 ha, 110 vaches laitières et près de 700 000 l de quota, et notre vie a complètement changé. » Avant la création du Gaec, André élevait 33 vaches laitières sur 60 ha pour un quota de 140 000 l de lait. Ses deux bâtiments traditionnels étaient enclavés dans un lotissement au coeur du village. L'exploitation d'Éric comptait 40 ha, 28 vaches pour un quota de 110 000 l et deux étables traditionnelles situées dans un hameau. Enfin, Jean-François, aidé par un salarié, produisait 200 000 l de lait avec 40 vaches élevées sur 80 ha et dans trois bâtiments traditionnels.
« Nous avons été bien soutenus par l'Adasea dans notre projet de Gaec entre tiers. Notre réflexion sur ce projet d'association a rapidement porté ses fruits car nous avons tout de suite exprimé les mêmes objectifs : obtenir chacun un revenu minimum de 1 200 €/mois tout en améliorant nos conditions de travail. C'est-à-dire dégager du temps pour nos familles en limitant les astreintes et, à plus long terme, pérenniser un outil de travail dans un contexte difficile nécessitant d'être réactif », expliquent posément les trois éleveurs.
« DES OBJECTIFS BIEN DÉFINIS ET PARTAGÉS »
« Les deux premiers objectifs sont atteints. L'avenir nous dira la viabilité à plus long terme de la structure actuelle, mais nous sommes beaucoup plus confiants qu'auparavant. En 2005, les possibilités de faire progresser nos structures étaient quasiment inexistantes par manque de disponibilité de foncier et de références supplémentaires. De plus, travailler seul devient de plus en plus difficile dans un contexte économiquement très instable. »
Sur les 187 ha du Gaec, 108 ha sont loués en fermage et 79 ha sont mis à disposition. Le premier grand chantier des associés a été la construction d'un bâtiment neuf destiné à accueillir les trois troupeaux sous le même toit. Pour ce faire, une parcelle choisie au centre du parcellaire des trois exploitations est achetée auprès de deux propriétaires différents (80 ares à l'un et 1,2 ha à l'autre pour un total de 8 000 €). « Nous ne pouvions pas prendre le risque de bâtir sur un terrain loué », souligne André. Mais le projet de construction lancé en 2006 ne verra le jour que deux ans plus tard car les enveloppes de subventions du Plan bâtiment de l'époque sont insuffisantes et les dossiers restent bloqués. La stabulation, finalement démarrée en 2008, accueille les animaux en décembre 2009, au terme d'une autoconstruction assidue à laquelle participe René, l'ancien salarié de Jean-François.
Entre temps, les éleveurs ont commencé à regrouper leurs troupeaux pendant l'été, chacun rentrant ensuite chez lui durant l'hiver. « Ces trois années furent une période difficile. Nous rentrions tard à l'automneet sortions tôt au printemps ! », précise Jean-François. En raison des distances entre les pâturages et les bâtiments, la traite estivale à l'extérieur est une pratique courante sur la Planèze de Saint-Flour. Pour pouvoir traire ensemble les troupeaux rassemblés, les éleveurs ont regroupé les deux cabanes à traire de Jean- François et d'André. « Nous avons limité les frais en le faisant nous-mêmes. Nous pouvons ainsi traire dix vaches à la fois. » Cette cabane « rallongée » est encore celle utilisée aujourd'hui durant l'été.
« 110 VACHES LAITIÈRES ET 80 GÉNISSES SOUS LE MÊME TOIT »
Afin de garantir la qualité sanitaire du troupeau regroupé, les éleveurs ont géré avec beaucoup de rigueur les prophylaxies précédant ce regroupement. « Des vaccinations et des contrôles IBR et BVD ont été faits sur l'ensemble des animaux. L'un des troupeaux a été mélangé seulement un an plus tard afin de pouvoir éliminer tous les animaux positifs au BVD. Nous avions lu de nombreux témoignages d'éleveurs à ce sujet dans les revues agricoles. »
Depuis l'hiver 2009-2010, le cheptel est abrité dans la stabulation libre à logettes. Les éleveurs ont désormais leurs 110 vaches laitières et 80 génisses sous le même toit. « Un véritable soulagement ! Nous ne reviendrions en arrière pour rien au monde !, soulignent les associés. Comparativement à nos anciens bâtiments, nos conditions de travail ont totalement changé. Maintenant, nous inversons la tendance en préférant sortir tard au printemps et rentrer tôt à l'automne ! » Pour limiter un peu l'investissement (450 000 € dont 80 000 € de subventions), ils ont conçu et construit un bâtiment simple mais très fonctionnel : une structure métallique de 65 m par 30 m. Les logettes ne sont pas bétonnées mais faites de pneus remplis et recouverts de sable. Une façon aussi efficace qu'économe d'éviter que les vaches glissent ainsi que les boiteries. La salle de traite en simple équipement central est en 2 x 14 places. 80 à 90 vaches sont traites en une heure. « Dans un souci d'économie, nous avons réutilisé les griffes, la pompe à vide et la réception à lait de nos anciennes installations », précise Éric.
« LE GAEC EST MEILLEUR QUE NOUS SÉPARÉMENT »
En 2010, les éleveurs ont opté pour une ration complète et ont intégré une Cuma (voir encadré) qui assure la distribution quotidienne de la ration à l'ensemble du troupeau. « Nous concentrons nos efforts sur la traite et la surveillance des animaux. »Les résultats en constante progression confortent les éleveurs dans leurs choix. « Le Gaec est meilleur que chacun de nous trois pris séparément », affirment Éric, André et Jean-François.
De fait, depuis leur association, les résultats techniques du troupeau ont progressé. D'une moyenne antérieure de 5 500 kg, les résultats du contrôle laitier sont aujourd'hui de 6 449 kg/vache à 33,3 de taux protéique et 39,5 de taux butyreux. Soit une production réelle de 6 203 l/vache à 34,2 de TP et 41,1 de TB pour une production de 677 390 l en 2011. Le nouveau bâtiment, le passage en ration complète et une sélection plus soutenue expliquent la progression des performances individuelles.
« PAS D'ÉCONOMIES D'ÉCHELLE MAIS UN GAIN DE PRODUCTIVITÉ »
« En sept ans, la politique d'attribution des références laitières a totalement changé. Nous avons acheté deux fois 80 000 l en TSST (transfert de quotas sans terres) et avons bénéficié de quelques attributions, qui se sont ajoutées à nos quotas respectifs. C'est bien sûr une chance mais nous veillons en permanence à une bonne maîtrise des charges pour ne pas "déraper" à ce niveau-là », poursuit Jean-François. Ainsi, si les éleveurs n'ont pas réalisé d'économies d'échelle, ils ont gagné en productivité et amélioré leurs marges. Entre 2007 et 2011, leur productivité est passée de 152 000 l à 207 500 l par UTH. Le ratio marge brute globale/produit brut a progressé, quant à lui, de 52 à 71 % et l'EBE/produit de 26 à 42 %. Les concentrés leur coûtent 60 €/1 000 l, alors que la moyenne départementale est de 90 €/1 000 l. « Nous privilégions un maximum d'autonomie. Nous sommes autosuffisants en fourrages, bien que la Planèze soit une zone séchante. Nous ensilons tôt et rationnons l'herbe avec précision durant tout l'été », souligne Éric.
Le Gaec produit aussi 17 ha de céréales, soit l'équivalent d'un quart des besoins en céréales de l'année (50 t autoconsommées sur 190 t). Au regard des prix des céréales et des tourteaux, qui ont doublé en deux ans, les éleveurs réfléchissent à l'opportunité de les acheter en direct auprès d'un courtier. « Cette production nous rend autonomes en paille avec un besoin de 0,7 kg/VL/j pendant sept mois de l'année, précise Jean- François. Vu les fluctuations de son prix à l'achat, ce n'est pas négligeable. »
La recherche de l'autonomie est l'un des credo du Gaec. « Nous avons capté une source d'eau à 400 m de la stabulation. C'est à nos yeux une "richesse" assurée à l'exploitation. » Un nouveau bâtiment de stockage est en construction à côté de la stabulation. Recouvert de 1 250 m2 de panneaux photovoltaïques, il ne coûtera pas un euro au Gaec. Pour le financer, les associés ont signé un bail emphytéotique avec une société qui y produira de l'électricité. Ainsi, ils en seront réellement propriétaires dans trente ans. « Le fait de regrouper notre stockage va nous faire gagner du temps et réduire nos frais », précise Jean-François. Jusqu'à présent, le stockage était en effet dispersé dans les anciens bâtiments des trois éleveurs. Des silos bétonnés pour l'ensilage d'herbe sont également en cours de réalisation. « La qualité des aliments produits influence directement la qualité du lait. Nous voulons être au top ! »
« ENGAGEMENT DANS LA FILIÈRE SPÉCIFIQUE CANTAL AU LAIT CRU »
« Nous nous sommes engagés dans le nouveau cahier des charges de l'AOP cantal dès sa parution en 2009. Il aurait été dommage de ne pas profiter de l'avantage d'être situé dans une zone d'appellation d'origine fromagère. De plus, avec notre système d'alimentation fondé sur l'herbe, nous n'avons pas eu de modifications importantes à faire pour respecter les règles de l'AOP. Nous avions plus de 150 jours de pâturage, utilisions moins de 1 800 kg de concentrés par vache et par an et élevions tout notre renouvellement. » Ainsi, comme tous les producteurs auvergnats de lait AOC, le Gaec a pu bénéficier de 2009 à 2010 d'une prime moyenne de 19 €/1 000 l. « Sa remise en cause depuis le 1er janvier 2012 nous inquiète, car aucune solution n'est tranchée. »
Une chance, depuis l'an passé, le Gaec s'est aussi engagé dans une démarche spécifique de cantal au lait cru proposée par leur laiterie. « Sicolait, née de l'union des quatre petites coopératives de Talizat, Le Malzieu, Celles et Pralong, a été reprise par le groupe 3A en 2010, poursuit Jean-François. À cette occasion, le site de transformation du cantal AOP au lait cru a été déplacé de Saint-Mamet à Talizat. » « Cette zone de production de lait satisfait nos attentes.
Nous collectons séparément 90 producteurs pour près de 20 Ml transformés en cantal au lait cru par notre filiale Fromageries occitanes. Les exigences en amont sont supérieures à celles d'un lait simplement “AOCisable” », précise Bruno Lechartre, du groupe 3A. Seuils inférieurs à 100 pour les coliformes, à 10 pour les staphylocoques et E. coli, absence totale de salmonelles et de listéria, les normes sont draconiennes pour décrocher la plus-value de 6 €/1 000 l, dont 1,50 € de frais d'analyses à la charge de l'éleveur. Pour être dans les clous, pas d'autre solution que d'être très strict sur l'hygiène de traite. « Nous pratiquons un prétrempage des trayons et un essuyage au papier individuel ainsi qu'un trempage en fin de traite. C'est un peu plus long mais gratifiant. Même l'été, à l'extérieur, nous devons laver pour ne pas voir monter le taux de cellules », précisent les associés. Avec un quota de près de 700 000 l, la moindre incidence sur le prix du lait impacte fortement le résultat. Une différence de 45,66 €/1 000 l sur le prix de base, du fait d'une qualité en A et super A et d'un taux protéique supérieur à la moyenne (hors plus-value spécifique aux AOP et au lait cru), représente 28 423 €. Les plus-values liées à une filière fromagère de qualité à 23,50 €/1 000 l, soit 16 450 € sur la production d'une année.
« Notre salut en tant que producteurs de montagne peut dépendre de ce type d'engagement. Impossible en effet de produire au même coût que la plaine. Des vaches à 6 500 l avec un système autonome et un lait différencié sont certainement davantage notre avenir que des vaches à 10 000 l pour un lait standard. L'option "lait cru" aurait été impossible si nous n'avions pas été associés. Elle exige en effet des installations adaptées à une bonne maîtrise de la qualité sanitaire du lait. »
MONIQUE ROQUE-MARMEYS
L'exploitation est située sur la planèze de Saint-Flour, plateau basaltique dans les monts du Cantal.
Le bâtiment construit par le Gaec abrite la stabulation à logettes et la salle de traite. Il a permis de rassembler tous les animaux sous le même toit.
La salle de traite comprend 14 postes en simple équipement. Les éleveurs traient toujours à deux. L'hygiène de la traite est très rigoureuse. Les éleveurs satisfont les exigences du cahier des charges d'une filière au lait cru.
Durant l'été, la traite est réalisée à l'extérieur dans une cabane à traire de dix places. En s'associant, les éleveurs ont aménagé une nouvelle cabane à traire en réunissant deux des leurs.
Un second bâtiment destiné au stockage sera fonctionnel cet été. Il est recouvert de 1 250m2 de panneaux photovoltaïques.
Les génisses de renouvellement sont élevées sur l'exploitation. Une partie du troupeau est croisé en blanc bleu belge pour mieux valoriser les veaux vendus à trois semaines.
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